On a testé… « Immortality », une enquête au cœur du cinéma


Le grain de l’image et la lumière qui change d’une séquence à l’autre permettent au joueur d’« Immortality » de comprendre immédiatement dans quel film il se trouve.

Le concepteur de jeux vidéo britannique Sam Barlow fait partie de ces quelques noms dont la patte est devenue impossible à ne plus discerner. En 2009, il offre une vision bien personnelle de la licence d’horreur Silent Hill avec l’épisode remarqué Shattered Memories. Puis, il redonne ses lettres de noblesse à la prise de vues réelles avec l’inventif Her Story (2015) et sa suite spirituelle, Telling Lies (2019). Le revoici aujourd’hui avec Immortality (PC, Mac, Xbox et mobiles), accompagné de ses deux marottes : l’enquête et une bonne vieille caméra.

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Immortality narre l’histoire de Marissa Marcel, actrice fictive d’origine française dont la carrière débute à la fin des années 1960 et s’achève par sa disparition inexpliquée à la lisière du nouveau millénaire. Le joueur, en possession d’une quantité importante de bobines, naviguera de séquence en séquences, de rushs en making of, pour déterminer les raisons de l’étrange destin de l’actrice : toutes les productions dans lesquelles elle partage l’affiche ne sont jamais sorties dans les salles.

Un Kubrick-à-brac de références

Le titre demande de manipuler une table de montage pour lire, rembobiner, passer en accéléré des films afin de reconnaître des éléments notables dans le champ. Puis, en sélectionnant, par exemple, un assistant qui procède au clap de début de séquence, on se retrouve projeté dans une nouvelle pellicule où ce même assistant peut être aperçu. Itou pour une horloge, un pistolet ou éventuellement une corbeille de fruits.

C’est seulement de cette manière, pas à pas, que le joueur complétera sa collection d’extraits et démêlera la vie mouvementée de Marissa Marcel.

A force de naviguer dans la filmographie de Marissa Marcel, « Immortality » se transforme vite en véritable forêt de pellicules dans laquelle le joueur doit naviguer.

Trois longs-métrages factices s’offrent à l’exploration. Le premier, Ambrosio, achevé en 1968 et réalisé par une sorte d’ersatz libidineux de Hitchcock, cherche à adapter le véritable roman Le Moine, de M. G. Lewis. Le deuxième, Minsky, se tourne vers le polar. Ce film de 1970 voit son intrigue se déployer dans le milieu de l’art et évoque davantage la Nouvelle Vague, mais avec des touches baroques façon Stanley Kubrick évidentes. Quant au troisième, produit en 1999 et intitulé Two of Everything, s’il continue à largement piocher dans l’esthétique du réalisateur d’Orange mécanique, il ajoute également le cachet techniquement plus propre du cinéma des années 1990, comme a pu le faire Eyes Wide Shut en son temps.

Le panorama proposé est vertigineux ; pourtant, tout ce qui est montré à l’écran relève d’une implacable maîtrise. Les mouvements de caméra, la lumière, la composition et les décors se révèlent stupéfiants de fidélité aux œuvres de leurs époques respectives. L’attention toute particulière apportée au grain de l’image procure une désarmante sensation de véracité à ces films qui n’ont jamais existé. L’expertise obsessionnelle de Barlow et de ses équipes nous explose au visage. Quant aux actrices et aux acteurs, Manon Gage dans le rôle de Marissa en tête, ils crèvent un écran déjà bien malmené.

Certaines compositions de plans d’« Immortality » ne cachent pas leurs influences directement venues du cinéma de Stanley Kubrick.

Quand soudain, la réalisation

Le scénario, bien ficelé, étonnant à plus d’un titre, ne reste pas pour autant béat devant l’univers qu’il dépeint. Immortality écorche et ne manque pas d’exhiber sans ambages la violence d’une industrie dans laquelle les actrices sont consumées par le sensationnalisme, l’influence et l’hubris des maîtres.

A cet égard, il ne sera pas à mettre entre toutes les mains. Le titre n’hésite pas à exhiber des scènes de sexe crues, à surprendre avec une imagerie gothique régulièrement sanglante et à exposer des séquences psychologiquement éprouvantes. Le joueur, promu en réalisateur voyeur, doit alors procéder au délicat tri dans ce qui relève du concret et de la fiction.

La qualité des décors saute régulièrement aux yeux dans « Immortality ».

Immortality est un monstre de puissance évocatrice et un époustouflant représentant du jeu vidéo narratif. Il s’agit de l’hommage au septième art le plus sophistiqué que le dixième pouvait produire. Quant à Sam Barlow, il semble bien être passé maître dans les deux.

L’avis de Pixels

On a aimé :

  • le système de jeu typique de Sam Barlow, mais qui se renouvelle de manière rafraîchissante ;
  • les acteurs, tous magnifiques, tous incroyablement convaincants ;
  • la mise en scène, la lumière, les décors, le grain, le travail sur le son et la myriade de références qui rendent un hommage vibrant au cinéma de la seconde moitié du XXe siècle ;
  • le scénario très bien amené qui change des thrillers habituels de Sam Barlow.

On a moins aimé :

  • un possible tâtonnement final, heureusement bref, quand il ne manque plus que le dénouement à dévoiler.

C’est plutôt pour vous, si :

  • vous aimez le cinéma ;
  • vous aimez le jeu vidéo.

Ce n’est plutôt pas pour vous, si :

  • vous ne vivez pas bien les scènes crues, l’horreur psychologique et certains sujets sensibles, comme le viol, parfois présentés de manière crue.

La note de Pixels :

Palme d’or.



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